Depuis 8 ans, l’équipe de « Métrologie électrique fondamentale » du LNE travaille sur la mise au point d’un nouvel étalon quantique de courant pour réaliser l’ampère selon la définition de 2018 du SI. Ces travaux de recherche ont abouti en 2024 à la démonstration de l’exactitude de génération de courants quantifiés, avec une incertitude relative inférieure à 10−8 et ceci pour des courants de l’ordre de quelques microampères. Ces résultats ont été publiés le 10 février 2025 dans Nature Communications.
Objectif : réaliser l'ampère de 2018
En 2018, les unités de base du Système international (SI) ont été définies en fixant la valeur numérique de sept constantes de la physique. L'ampère, unité de base pour les mesures électriques, est désormais liée à la charge élémentaire, e. Auparavant, et depuis 1948, sa définition reposait sur le théorème d'Ampère, qui liait l'unité de courant électrique au newton, unité de force. Les étalons nécessitaient des expériences électromécaniques, ne permettant pas d’atteindre des incertitudes de réalisation au niveau des besoins formulés auprès des instituts nationaux de métrologie électrique. C’est pourquoi, depuis déjà plusieurs décennies avant 2018 et encore actuellement, les mesures de courant sont raccordées aux mesures de capacité, de tension et de résistance dont les meilleures incertitudes sont dans la gamme de 10–8 voire plus faibles. Le schéma de traçabilité des mesures de courant reste donc indirect, long et complexe à mettre en œuvre, limitant in fine les incertitudes de réalisation de l’ampère à 10–6.
Aussi, dès l’avènement des nanotechnologies en électronique, de nombreux travaux de recherche ont été, et sont encore, menés dans le monde pour mettre au point des systèmes de génération de courants permettant aux métrologues de maîtriser le transfert d’électrons un à un et donc de réaliser l’ampère à partir d’un flux déterminé de charges élémentaires, ce qui correspond à sa définition. Cependant ces systèmes « mono-électroniques » ne génèrent que des courants très faibles, inférieurs au nanoampère, dont la quantification n’a été démontrée qu’avec une incertitude supérieure à 10−7, tandis que le besoin est actuellement de l’ordre de 10–8.
Pour atteindre cette incertitude sur la réalisation de l’ampère, l’équipe « Électricité fondamentale » du LNE s’est lancée dès 2016 dans une voie alternative en développant une expérience pour appliquer directement la loi d'Ohm aux étalons quantiques de tension et de résistance, obtenus par la mise en œuvre de l’effet Josephson et de l’effet Hall quantique respectivement. Et depuis 2019, date d’entrée en vigueur des définitions de 2018 du SI, ces deux phénomènes quantiques réalisent directement le volt et l’ohm à partir de la constante de Planck et de la charge élémentaire. Il en résulte que l’expérience développée au LNE réalise désormais la définition de l’ampère.
Le générateur quantique de courant du LNE...
Dès lors, ces chercheurs en métrologie quantique du LNE ne cessent de développer et d’améliorer un générateur quantique de courant programmable (PQCG) pour atteindre l'incertitude cible de 10−8 dont le prototype de 2016 avait permis de démontrer la faisabilité avec la génération d’un courant de quelques milliampères [“Practical quantum realization of the ampere from the elementary charge”, Phys. Rev. X, 6, 041051 (2016), DOI: 10.1103/PhysRevX.6.041051]. Un énorme travail restait à faire sur la mise au mise au point du système car la quantification n’avait été obtenue qu’au prix de corrections d’erreurs importantes qui dégradaient l’incertitude finale de réalisation de l’ampère.
Schéma de principe de la réalisation de l’unité « ampère » selon sa définition de 2018, à partir de la charge élémentaire et de la fréquence Josephson.
En huit ans, l’expérience a beaucoup évolué et les éléments ont même été regroupés dans un laboratoire spécialement aménagé pour faciliter la mise en œuvre des effets quantiques et limiter les incertitudes de mesure. Actuellement l’infrastructure comporte cinq dispositifs quantiques savamment connectés entre eux pour réaliser un étalon quantique de courant. Et en 2024, les mesures réalisées ont permis de démontrer une amélioration considérable du système de génération d’un courant quantifié. L’article publié en accès libre dans Nature Communications le 10 février 2025 [S. Djordjevic, R. Behr and W. Poirier, “A primary quantum current standard based on the Josephson and quantum Hall effects”, Nat. Commun., (2025), 16, 1447, DOI: 10.1038/s41467-025-56413-9] présente ces nouveaux résultats. Le rapport signal à bruit du système a été minutieusement diminué à chaque étage du système aboutissant à la génération d’un courant quantifié exact, sans correction, directement proportionnel à e (sous la forme (n/p) × e·fJ, où n et p sont des entiers relatifs à des paramètres de contrôle de l’expérience et fJ est la fréquence Josephson). La quantification a été démontrée à mieux que 10−8 près et ceci sur des courants de quelques microampères, c’est-à-dire 500 fois plus faibles qu’en 2016.
Le PQCG du LNE permet ainsi de générer un courant électrique sur une large étendue de valeurs, typiquement entre 1 µA et quelques milliampères, avec une traçabilité améliorée à l’ampère, ce qui en fait aujourd’hui un équipement unique de métrologie primaire.