La mesure de l’apparence des objets ou des scènes vus par des individus est nécessaire pour répondre aux besoins de notre société : esthétisme d’un objet, réalisme d’une image, perception d’une « qualité » d’un produit... Ces besoins de mesure se complexifient avec la grande diversité des types de source d’éclairage et de nouveaux matériaux à texture variable. La mesure de l’apparence des objets permet, par exemple, en cours de fabrication, de contrôler la qualité des produits finis et, sur un produit en usage, de maîtriser l’éclairage des objets pour leur mise en valeur. Quelques instruments de mesure existent mais ils ne caractérisent souvent que partiellement l’apparence visuelle et nécessitent des matériaux étalons pour être validés.

Objectifs

Construire et caractériser un dispositif spécifique original appelé gonioréflectomètre, qui permette de réaliser une mesure de BRDF, pour l’étude métrologique de l’apparence des matériaux, dans le domaine UV- visible (250 nm – 900 nm). 

Effectuer une mesure physique, traçable au SI, de l’apparence visuelle d’objets éclairés et réalisation de matériaux étalons de transfert pour l’industrie.

Résumé et résultats

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Attributs visuels de l'apparence.

La réalisation de matériaux étalons implique une étape lourde de comparaison des mesures optiques avec des mesures visuelles par un panel d’observateurs. Pour prendre une place parmi les quelques laboratoires de plus haut niveau métrologique dans le domaine des mesures de l’apparence, le LCM LNE-Cnam s’est lancé dans le développement d’un instrument de référence permettant la caractérisation métrologique des propriétés réflectives des objets qui, du point de vue de l’apparence, sont à l’origine des sensations de couleur, de brillant et de texture.

Quantifier l’apparence d’un objet est donc quelque chose de compliqué car l’apparence est une propriété subjective inaccessible directement à la mesure. Seul le stimulus peut être exposé aux mesures physiques :

  • La couleur naît de la répartition spectrale de la lumière réfléchie par le matériau ;
  • le brillant naît de la répartition géométrique de la lumière réfléchie par le matériau ;
  • la texture naît de la répartition spatiale de la lumière réfléchie par le matériau.

La quantification de l’apparence nécessite d’établir des corrélations entre une ou plusieurs grandeur(s) physique(s) pertinente(s) et la réponse de l’observateur obtenue par des mesures visuelles afin de développer des modèles métrologiques de l’apparence. La grandeur physique qui intègre ces informations s’appelle la « fonction de distribution bi-directionnelle du coefficient de luminance », plus connue sous son acronyme anglophone « BRDF » pour Bi-directional Reflectance Distribution Function.

La BRDF (fig. 1) est le quotient de la luminance énergétique (LR) de l’élément de surface dans la direction donnée (θRR) par l’éclairement (EI) provenant d’une direction définie (θII). C’est une grandeur radiométrique définie pour une longueur d’onde donnée (λ).

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Illustration des informations contenues dans la BRDF.

 

La BRDF caractérise intégralement la réflexion lumineuse à la surface d’un matériau. En cela, sa mesure s’inscrit comme un outil indispensable pour la mesure de l’apparence car elle permet de connaître en détail le signal qui entre dans l’œil. C’est ce signal qui, capturé et traité par le système visuel, génère les attributs de l’apparence.

La BRDF se mesure avec un gonioreflectomètre systématiquement constitué de trois éléments : une source lumineuse, un support d’échantillon et un récepteur. Le LCM s’est donc fixé comme objectif de réaliser un tel instrument pour des mesures dans un domaine spectral s’étendant de l’ultraviolet au proche infrarouge (250 nm – 900 nm).

1 - Réalisation de la partie mécanique de l’instrument

Une étude bibliographique exhaustive a permis d’évaluer les systèmes existants dans d’autres laboratoires nationaux de métrologie ou des laboratoires de recherche, soit une vingtaine d’équipements. Ils ont été regroupés par familles technologiques et analysés finement pour mettre en évidence les atouts et les faiblesses de chacun d’eux. Pour respecter le cahier des charges retenu pour l’instrument, le choix technologique s’est porté sur une solution hybride : déplacements mécaniques de la source et de l’échantillon et détection conoscopique sur la base d’un montage optique de type Fourrier. Les déplacements mécaniques offrirons la maîtrise fine des angles d’illumination et d’observation et la partie conoscopique permettra, en un seul cliché, de mesurer la luminance dans plusieurs milliers de directions d’observation très proches et donc de gagner un temps de mesure considérable.

Le choix s’est porté sur le développement de deux lignes de mesure séparées et indépendantes. La première ligne, appelée « voie couleur », est dédiée à l’étude de la couleur. Elle requiert une bonne résolution spectrale et une résolution angulaire non critique. La partie sensible aux alignements est le monochromateur ; il sera donc posé sur la table optique. La détection sera mobile. La deuxième ligne, appelée « voie brillant », est dédiée à l’étude du brillant. Elle requière une haute résolution angulaire mais peut se passer d’information spectrale. La partie sensible est la détection et est donc posée sur la table optique. La source est mobile.

 

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Schéma général du gonioréflectomètre ; en vert : voie couleur, en jaune : voie brillant

 

Le choix a donc été fait de déplacer au minimum la source de la voie brillant et la détection de la voie couleur (déplacement selon une seule rotation, dans un plan horizontal) et de faire tourner l’échantillon autour de trois axes pour garantir les quatre degrés de libertés requis dans chaque configuration de mesure (fig. 2).

Le support d’échantillon est principalement constitué d’un bras robot six axes qui supporte un plateau de diamètre 60 cm. Les échantillons peuvent donc être volumineux et d’épaisseur très variable (le diamètre de la couronne de rotation est de 2,3 m). Le pilotage du robot a été programmé par l’équipe projet. Il permet un déplacement rapide, précis et reproductible des échantillons.

2 - Réalisation de la voie couleur

Elle est constituée d’une source (type arc xénon pour commencer) pour couvrir le domaine spectral de 250 nm à 900 nm, d’un monochromateur étalonné permettant une sélection des longueurs d’onde à 0,1 nm près, d’un système optique télécentrique pour focaliser la source sur l’échantillon en un spot de diamètre 20 mm et d’un système optique de détection (photodiode silicium, miroirs, condenseur et diaphragme montés sur un dispositif mécanique construit spécifiquement).

Un protocole de mesures a été élaboré et des mesures ont été effectuées sur un échantillon de Spectralon, en illumination normale à sa surface, pour tester le fonctionnement de l’ensemble de la voie couleur. Des améliorations sont en cours et les mesures de qualification sur différents types de matériaux se poursuivront dans le cadre du projet européen xD-Reflect.

3 - Réalisation de la voie brillant

Cette mesure ne nécessite pas d’information spectrale mais nécessite une très bonne résolution angulaire (inférieure à 0,003°). Cette partie de l’instrument est très innovante car elle a été réalisée par un système conoscopique. Un tel système optique a été construit par la société Eldim et a théoriquement une résolution angulaire de 0,004°. L’illumination est réalisée à l’aide d’une lampe quartz halogène focalisée par des composants optiques permettant une divergence théorique de 0,029°. La détection est effectuée par une caméra CCD dont les caractéristiques optiques ont été mesurées (linéarité temporelle et amplitude, résolution) et étalonnées (luminance).

L’idée de l’implantation d’un système conoscopique dans un gonioréflectomètre mécanique place le laboratoire dans une excellente dynamique pour ce qui concerne l’étude du brillant des matériaux et de la relation entre la rugosité et la BRDF d’un matériau.

Impacts scientifiques et industriels

  • Support aux industriels : aide à la vente et donc à la conception de produits dont l’aspect esthétique est en jeu ;
  • Traçabilité possible des instruments de mesure industriels ;
  • Gain de temps pour la qualification de l’apparence des produits par la possibilité de mesures physiques au lieu de campagnes de mesures psychophysiques.

Publications et communications

GED G., OBEIN G., SILVESTRI S., LE ROHELLEC J. et VIÉNOT F., “Recognizing real materials from their glossy appearance”, Journal of Vision, 10, 9, 18, 2010, DOI: 10.1167/10.9.18.

OBEIN G., GED G. et RICHARD A., “A new gonioreflectometer dedicated to the measurement of the appearance of materials at the LNE-Cnam”, 2nd CIE Expert symposium on Appearance “When appearance meets lighting”, Gand, Belgique, 8-10 septembre 2010.

OBEIN G., « Le brillant du noir », École thématique interdisciplinaire du CNRS, Le noir et le blanc, Okhra, Roussillon France, 127-141, 2011.

GED G., OBEIN G., SILVESTRI Z. et VIENOT F., « Évaluer le brillant visuel d’un matériau », 15e Congrès international de métrologie, Paris, France, 3-6 octobre 2011.

OBEIN G., « Un équipement pour la mesure du Brillant », Journée Scientifique du Comité Français de la Couleur, Ecole des mines de Paris, Paris, France, 21 janvier 2012.

OBEIN G., « La mesure de BRDF en vue de la caractérisation de l'apparence des matériaux », Journées thématiques sur la Couleur, Pôle Optique Rhône Alpes, St Etienne, France, 1–3 mars 2012.

OBEIN G., « Métrologie de l’apparence et mesure de BRDF », Journée des métrologues du LNE, Paris, France, 17 septembre 2012.

OUARETS S., GED G., RAZET A. et OBEIN G., “A new gonioreflectometer for the measurement of the bidirectional reflectance distribution function (BRDF) at LNE-CNAM”, CIE 2012 – Lighting Quality and Energy Efficiency, Hangzhou, Chine, 19–21 septembre 2012.

OUARETS S., LEROUX T., ROUGIÉ B., RAZET A.et OBEIN G., “A high resolution set up devoted to the measurement of the Bidirectional Reflectance Distribution Function around the specular peak, at LNE-CNAM”, Congrès international de métrologie, Paris, France, octobre 2013 .

OBEIN, G., OUARETS, S. et GED, G., “Evaluation of the shape of the specular peak for high glossy surfaces”, Measuring, Modeling, and Reproducing Material Appearance, Proceedings of SPIE, EI108, San Francisco, Etats-Unis, 4-5 février 2014.

HÖPE A., KOO A., VERDU F., LELOUP F., OBEIN G., WÜBBELER G., CAMPOS J., IACOMUSSI P., JAANSON P., KÄLLBERG S. et ŠMÍD M., “Multidimensional Reflectometry for Industry (xD-Reflect) an European research project”, Measuring, Modeling, and Reproducing Material Appearance, Proceedings of SPIE, EI108, San Francisco, Etats-Unis, 4-5 février 2014.

COMARD A., BARET F., OBEIN G., SIMONOT L., MENEVEAUX D., VIÉNOT F. et DE SOLAL B., “A leaf BRDF model taking into account the azimuthal anisotropy of monocotyledonous leaf surface”, Remote Sensing of Environment, 143, 2014, 112–121.

Partenaires

Société Eldim (Hérouville Saint Clair, France) pour la réalisation du système de détection conoscopique.

Projets associés