En absorbant près d’un tiers du CO2, les océans jouent un rôle primordial dans le contrôle climatique de notre planète. L’accumulation du CO2 dans les océans entraîne cependant une diminution du pH de l’eau de mer, phénomène connu sous le nom « d’acidification des océans ».

OBJECTIFS

  • Etablir la traçabilité métrologique pour les paramètres indicateurs de l’acidité de l’océan : pH, pHT et alcalinité totale
  • Etablir la traçabilité métrologique de mesures à travers des étalons primaires internationalement reconnus
  • Evaluer l’incertitude de la mesure spectrophotométrique de pHT et la mesure titrimetrique d’alcalinité totale
  • Fournir des outils appropriés pour la validation des méthodes de mesure du pHT et alcalinité totale des eaux marines (Matériaux de Reference Certifiés, organisation des comparaisons inter-laboratoires)
  • Offrir un appui aux stratégies climatiques internationales et européennes en développant une infrastructure métrologique pour les données d’acidification des océans

RÉSUMÉ ET RÉSULTATS

L’environnement marin est soumis à de fortes pressions environnementales liées au développement des activités humaines (émissions de CO2, activités industrielles, développement urbain, trafic maritime, etc). Plusieurs travaux scientifiques démontrent l’effet néfaste de ces activités sur les eaux marines, notamment sur les équilibres des écosystèmes, et demandent des actions concrètes pour protéger et préserver le milieu marin.

Une des conséquences des activités humaines est l’acidification des océans. Ce phénomène fait référence au processus de diminution du pH sur une échelle temporelle étendue (plusieurs décennies) causé, sauf cas de pollution accidentelle, par l'absorption de quantités croissantes de dioxyde de carbone atmosphérique. En raison de son importance dans la régulation du climat et sur le plan économique, l’observation des océans, et en particulier le phénomène d’acidification, est devenue une préoccupation des politiques tant à l’échelle européenne qu’internationale.

À l’échelle planétaire, le pH moyen des océans est actuellement de 8,1, soit 0,1 de moins qu’il y a 250 ans. Cela peut paraitre insignifiant, mais l'échelle de pH étant logarithmique, une diminution de 1 pH représente une augmentation de l'acidité par un facteur 10. Ainsi, l’observation et la quantification d’acidification des eaux marines fait l’objet de plusieurs initiatives européennes et internationales.

L'acidité, la basicité ou la neutralité d'un milieu sont déterminées grâce à un paramètre appelé potentiel hydrogène, plus connu sous le nom de pH.  Au niveau primaire, le pH est calculé comme la somme de deux termes : l’un, appelé fonction d’acidité, peut être déterminé expérimentalement, l’autre appelé coefficient d’activité, est établi par convention. C’est ce dernier paramètre qui représente le véritable enjeu pour la traçabilité et la comparabilité des valeurs de pH.

Par ailleurs, le concept de traçabilité du pH au Système International d'unités (SI) est uniquement établi pour les solutions aqueuses à faible force ionique (inférieure à 0,1 mol/kg). Pour les milieux complexes, la tâche est plus difficile encore, car il est nécessaire de définir préalablement et de manière correcte, le bon coefficient d’activité qui tient compte des interactions entre tous les ions présents dans la solution ainsi que de la spécificité du solvant considéré (masse volumique, permittivité). Par milieux complexes, on entend toutes solutions non-aqueuses, ou solutions aqueuses à concentration ionique élevée ou présentant une diversité des espèces ioniques, telle que l’eau de mer.

A l’échelle internationale, la Commission Océanographique Intergouvernementale (IOC) de l’UNESCO a élaboré récemment une méthodologie dont l’objectif est de « réduire au minimum les conséquences de l’acidification des océans et d’y faire face, notamment en renforçant la coopération scientifique à tous les niveaux ». La méthodologie a pour but d’indiquer quelles mesures de l’acidification des océans et des paramètres associés doivent être réalisées, à quels endroits et selon quelles modalités. Un chapitre entier est dédié à la « Qualité des données », indispensable pour des interprétations fiables.

Au niveau européen, l'Union Européenne (UE) agit contre le changement climatique en étroite coopération avec des partenaires internationaux. La Directive Cadre Stratégie pour le Milieu Marin (DCSMM), adoptée en 2008 pour ensemble des mers européennes, encourage l’existence des « dispositions relatives à l’adoption de normes méthodologiques pour l’évaluation de l’état du milieu marin, la surveillance et les objectifs environnementaux, pour la transmission et le traitement des données […] ». Pour illustrer et communiquer sur des phénomènes complexes tels que l’acidification des eaux marines, l'Agence Européenne pour l'Environnement (EAA), a défini « l’acidification des océans » comme un des indicateurs descriptifs du climat permettant de suivre les changements dans l'océan associés au changement climatique.

Le LNE apporte son expertise sur la thématique de l’acidité et de la salinité depuis plusieurs années. Ainsi, en 2011, un projet a été mené dans le cadre du Programme Européen de Recherche en Métrologie (EMRP) et coordonné par la PTB, le laboratoire de métrologie allemand. Le LNE est intervenu plus spécifiquement sur la mise en place de procédures de référence pour caractériser l’eau de mer en terme d’acidité et de composition ionique.

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Eau de mer

La salinité représente la proportion en sels minéraux dissous dans l’eau de mer, qui est une matrice très complexe pouvant être assimilée à une solution multi-électrolytes avec des composants majeurs (Na+, Ca2+, Mg2+, K+, Cl-, SO42-, Sr, … > 1 mg/kg solution), des composants mineurs (silicates, phosphates, nitrates / 0,1 -1 mg/kg solution) et des éléments traces (Fe, Zn, Cr, Ni, Hg, … < 0. 1 mg/kg solution). La chaîne de traçabilité actuelle pour la Salinité Pratique (SP) de l’eau de mer, en vigueur depuis 1982 (PSS 78), relie la salinité et la conductivité, mais ne permet pas d’avoir un raccordement métrologique aux unités du SI. Des mesures primaires de conductivité ont été réalisées avec pour objectif de relier la SP aux mesures de densité, qui sont, elles, directement traçables aux unités du SI, et de réduire les incertitudes sur la SP de quasiment un ordre de grandeur (actuellement de l’ordre quelques 10-2).

Concernant le pH de l’eau de mer, il est nécessaire de rendre comparable les mesures de pH effectuées avec des techniques de mesure différentes. Ainsi, dans le cas de mesures potentiométriques, l’échelle d’activité est le concept utilisé pour la mesure de pH. En revanche, les mesures spectrophotométriques utilisent le concept d’échelle de concentration. Il convient par conséquent de trouver un lien entre les deux échelles de pH et d’assurer une traçabilité métrologique via l’échelle d’activité pour être en mesure in fine d’étalonner les spectrophotomètres utilisés pour les mesures sur le terrain.

Les théories et les conventions classiques ne pouvant plus être appliquées pour ces solutions de force ionique élevée (supérieures à 0,1 mol/kg), le développement d’approches plus fidèles s’avère nécessaire. Le modèle théorique de Pitzer a ainsi été éprouvé à partir des valeurs expérimentales de pH obtenues par mesure primaire, pour des solutions de plusieurs forces ioniques simulant les eaux de mer de différentes salinités (SP) et plusieurs températures (15°C, 25°C et 35°C). Le potentiel standard de l’électrode de référence Ag/AgCl a pour cela dû être déterminé pour une eau de mer synthétique de Salinité Pratique 35 et des températures comprises entre 5°C et 40°C, un tampon TRIS (pH ~ 8.2) a été caractérisé dans une eau de mer synthétique de composition certifiée et des mesures primaires de pH ont été réalisées. Le comportement des électrodes de verre dans un milieu salin a également été investigué. Enfin une méthode de quantification des anions silicates (composant mineur) et du strontium (composant majeur) a été mise au point par chromatographie ionique.

D’autres projets ont pris la suite sur cette thématique. En 2019, un projet financé par la Métrologie Française a démarré, concernant la fabrication et la caractérisation des solutions étalons en adaptant la matrice (le solvant) aux échantillons que l’on souhaite analyser. Lorsqu’ils existent, ces étalons permettent d’assurer la traçabilité des résultats de mesure de pH au SI et de leur garantir un faible niveau d'incertitudes. Par voie de conséquence, leur absence entraine une qualité des mesures insatisfaisante pour certains domaines d’applications, avec des incertitudes pouvant aller jusqu'à 2 pH.

C’est la raison pour laquelle les laboratoires nationaux de métrologie développent des références métrologiques pour les mesures de pH dans de telles matrices complexes.

Cependant, la difficulté de couvrir des besoins aussi variés que le nombre élevé de matrices utilisées a été mise en avant. Cette difficulté a permis d’introduire un nouveau concept de « pH unique » capable d’offrir la traçabilité et la comparabilité du pH quel que soit le milieu.

Il apparaît alors nécessaire de démontrer la faisabilité de ce concept innovant grâce à la mise en pratique de plusieurs mélanges eau-solvant organique utilisés classiquement pour séparer des composés (chromatographie en phase liquide) ou le contrôle de la qualité du bioéthanol.

Par ailleurs, sur la thématique du changement climatique, le « Global Ocean Observing System » (GOOS) a défini le « Carbone inorganique » comme l’une des variables océanographiques essentielles qui permet d’évaluer les effets de l’augmentation des concentrations atmosphériques de CO2 sur les océans. Quatre paramètres sont regroupés sous la définition de carbone inorganique, à savoir pH, pCO2 (pression partielle de dioxyde de carbone), TA (alcalinité totale) et DIC (carbone inorganique total dissous).

Compte-tenu des changements climatiques faibles à petite échelle mais avec un impact fort sur le long terme (besoin de suivis sur des dizaines d’années) les exigences sur les incertitudes de mesures de pH se situent à ± 0.005 pH. Pour y parvenir, les océanographes ont introduit un nouveau mesurande, le pH total (pHT), pour lequel les challenges métrologiques sont similaires à ceux existants pour les mesures du pH : besoin d’une définition standard, besoin d’étalons primaires, mise en place d’une méthode de référence primaire basée sur l’utilisation de la cellule de Harned, mise en place d’une convention permettant d’établir la traçabilité au SI et d’une chaine de traçabilité métrologique pour les mesures réalisées par les utilisateurs.

Le pHT mesure une concentration en protons totaux c'est-à-dire les protons libres et les protons impliqués dans les associations avec les ions sulfates. Ce concept repose sur le changement du solvant qui n’est plus l’eau comme pour la définition du pH, mais le milieu ionique.

Enfin, en 2021, le projet européen SapHties, dans le cadre du programme EMPIR a démarré. La portée de ce projet est normative. En effet, en 2013, la Commission Européenne a adopté une stratégie relative à l'adaptation au changement climatique, dans laquelle les organisations européennes de normalisation ont été invitées à contribuer aux efforts européens visant à rendre l'Europe plus résiliente au changement climatique. La stratégie met en évidence le rôle clé des documents normatifs. Ainsi, dans un white paper, la communauté océanographique reconnait que « la collaboration avec des organismes de normalisation, à travers la création de groupes de travail, sera une partie nécessaire de l’effort qui mènera à une meilleure cohérence des résultats de mesure ». Cependant, les documents normatifs permettent d’offrir l’infrastructure d’harmonisation souhaitée par la communauté océanographique à condition que les normes s’appuient sur des spécifications techniques qui tiennent compte des concepts métrologiques.

L’acidification des océans est un phénomène lent, se déroulant sur une échelle temporelle étendue (plusieurs décennies). Compte-tenu des faibles changements à petite échelle mais entraînant un impact fort sur le long terme, l’exigence sur les incertitudes de mesures de pH définie par les experts du réseau mondial d'observation de l'acidification des océans (Global Ocean Acidification Observing Network - GOA-ON) se situent à ± 0.003 pH (k = 1), soit un niveau similaire aux étalons primaires.

En routine, le pHT est mesuré par la méthode spectrophotométrique (optique) qui est détaillée dans la norme ISO 18191 :2015 « Determination of pHT in seawater – Method using the indicator dye m-cresol purple ». Cependant, cette norme n’offre pas de garanties de qualité suffisantes et à la hauteur des enjeux économiques, climatiques, règlementaires et sociétaux. C’est pourquoi, le projet se propose de réviser cette norme par un apport métrologique.

IMPACTS SCIENTIFIQUES ET INDUSTRIELS

  • Renforcer les concepts métrologiques utilisés en océanographie
  • Assurer une meilleure comparabilité des données dans le temps et dans l’espace
  • Acquérir des connaissances sur la surveillance des océans
  • Commissions de normalisation concernée : AFNOR T91B & ISO TC 147 WG 67 
  • Réviser la norme ISO NP 18191 « Determination of pH in sea water. Method using the indicator dye m-cresol purple », qui fournira à la communauté océanographique un document adapté à leurs besoins
  • Faciliter l’acquisition de données climatiques plus stables et fiables dont dépendent les modèles climatiques et améliorer la capacité de prévision des futures conditions climatiques
  • Disséminer les données vers la communauté océanographique
  • Aider les autorités à prendre les décisions nécessaires pour lutter contre le dérèglement climatique et par la même occasion, tenir leurs engagements pris lors des accords internationaux tels que l'Accord de Paris de 2015, ou satisfaire les directives européennes

PUBLICATIONS / COMMUNICATIONS

Publications :

Agnes Heering, Daniela Stoica, Filomena Camões, Bárbara Anes, Dániel Nagy, Zsófia Nagyné Szilágyi, Raquel Quendera, Luís Ribeiro, Frank Bastkowski, Rasmus Born, Jaak Nerut, Jaan Saame, Silvie Lainela, Lokman Liv, Emrah Uysal, Matilda Roziková, Martina Vičarová, Alan Snedden, Lisa Deleebeeck, Valentin Radtke, Ingo Krossing, Ivo Leito, Symmetric potentiometric cells for the measurement of unified pH values. Symmetry 2020, 12, 1150

 

Communications :

- “Definition and standards for seawater pH measurements”, D. Stoica, Warnemünde, Allemagne, Janvier 2012, Workshop on Standards for Ocean measurements

- “Fiabilité des mesures dans les milieux à matrices complexes : Les solutions tampon disponibles sur le marché sont-elle adaptées ? “, D. Stoica et al., Paris, France, Juillet 2013, Journées d'Electrochimie JE 2013,

- “pH measurements in seawater: Reducing the limitations of the existing primary standard buffers”, D. Stoica et al., Londres, Grande-Bretagne, Septembre 2013, 16th International Conference on the Properties of Water and Steam

-Multifunction Calibration of H+ Responsive Glass Electrodes in Seawater”, Maria Filomena Camões, Daniela Stoica, Barbara Anes, San Diego, 16-21 février 2020, Ocean Sciences Meeting

PARTENAIRES

PTB (Allemagne)

INRIM (Italie)

IPQ (Portugal)

DFM (Danemark)

MIKES-SYKE (Finlande)

GEOMAR (Allemagne)

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